
Le courroux de ma bonté est une phrase du texte de pratique “inspirer dans la souffrance et libérer le coeur” – texte écrit pour ces temps incertains de pandémie et de confinement. L’esprit insufflé bien sûr dépasse largement les époques et les événements. mais il est bon de rendre concret et de renforcer le pouvoir des pratiques en les plongeant au coeur de notre quotidien quel qu’il soit. D’abord parce que c’est précisément le sens d’une pratique à laquelle on s’entraîne de tout inclure. Il n’y a pas d’ailleurs ou de conditions favorables. Invoquer des conditions favorables, comme d’avoir du temps, reste une façon de se dédouaner de son peu de confiance ou d’investissement. Et les conditions favorables auxquelles on pense du point de vue de la pratique sont avant tout défavorables. En effet quand on a du temps on fait autre chose que de penser à l’essentiel, on ne semble pas en avoir besoin. Et quand on en a besoin, force est de constater le manque d’entraînement, de rappels, de stabilité. Alors à quoi bon, c’est trop tard!
En cette époque de confinement obligé, les personnes qui ont du temps pour pratiquer n’arrivent peut-être pas à le mettre à profit en ce sens, bien qu’elles le souhaitent, et procrastinent ou se distraient, comme d’habitude. Le prétexte cette fois? un virus, c’est pas rien quand même cette angoisse qui nous occupe et nous paralyse! Bref il y aura toujours une raison de faire comme cela nous arrange, de ne pas rencontrer ses pensées, de ne pas tordre le cou à sa négativité, de rengainer ses illusions pour les sortir et se défendre à a prochaine occasion. Changer demande un effort, de la persévérance, et surtout un entraînement régulier, du corps, de la parole et de l’esprit. Réduire la méditation à s’asseoir un temps donné est ne rien avoir compris de sa réelle saveur et valeur.
Mais revenons à cette phrase qui nécessite des éclaircissements. Merci à l’amie qui s’est interrogée sur son sens d’avoir posé la question lors de nos échanges. Voici la phrase entière d’où est tirée cette expression : Bandant l’arc de mon coeur vers toutes les ressources inépuisables, le courroux de ma bonté se rassemble en la douceur d’une prière.
L’intensité du remède est proportionnel à l’adversité rencontrée. Cela nous le savons déjà, même à un niveau relatif. J’emploie parfois cet exemple que si tous les traitements peuvent être complémentaires, néanmoins on ne soigne pas une fracture avec une simple tisane ou une tumeur avec un massage. Là où j’attire votre attention c’est que nous devons faire face à ce qui est en train de se passer et lever l’énergie correspondante pour que le soin soit le plus efficace possible. Là encore pas d’exclusion. Une collaboration de toutes les formes de médecine serait idéale, dans n’importe quelle forme de soin d’ailleurs. La nourriture étant une des premières médecines préventives. Les émotions positives en sont une autre. Mais ce n’est pas pour autant que vous ne mourrez pas, ou ne tomberez pas malade, évidemment. Et surtout un seul point de vue ne fera jamais le tour de l’éléphant. Avant toute chose, il y a l’intelligence de prendre soin, dans sa complexité, son écosystémie, de la précieuse existence humaine, et cela relève de l’inter-être, à tous les niveaux, environnemental, social, médical, spirituel, etc Aujourd’hui, nous pouvons regarder l’humanité en souffrance comme une seule personne qui a besoin de tous les soins possibles, particulièrement ceux d’une conscience éclairée pour aller de l’avant différemment. Le grand corps malade que nous sommes a le droit d’être fâché, le droit de dire haut et fort que certaines choses doivent cesser de lui nuire, comme un certain esprit consumériste endurci, par exemple, qui se soucie plus des enjeux économiques que de la santé publique. N’y voyez aucune ressemblance avec des événements sans précédents en train de se produire. Passé le virus, s’il passe, on pourra se crever à la tâche soixante heures par semaine, comme si de rien n’était, et tout laisser derrière soi. Il ne s’agit pas d’incriminer des personnes, ferions-nous mieux? mais de regretter les voir prendre certaines décisions, sans entendre que le tonnerre gronde. Personne n’a envie de finir comme la grenouille qui cuit lentement dans sa casserole, trouvant cela agréable au début du réchauffement de l’eau et puis ensuite carrément désagréable, et quand elle réalise la situation, trop tard, elle est en train de mourir! Parfois il est nécessaire de rassembler toute son énergie pour ne pas cuire à petits feux comme on dit et prendre la clé des champs quand il est encore temps. Et du temps on en a! si ce fil d’actualité vous ennuie, sautez, allez plus loin, car au final vous pouvez aussi n’y voir qu’un jeu de phénomènes transitoires et dérisoires, et c’est tout-à-fait juste. Comment un seul point de vue pourrait décrire l’éléphant alors que tous les points de vue n’y réussissent pas?
La bonté, l’amour inconditionnel, la compassion créative sont nécessaires à développer, car, par notre éducation, nos blessures, nous sommes dans beaucoup de rejet et d’agressivité, surtout vis à vis de nous-même. Or la première étape est de s’entraîner à la compassion envers les multiples personnages qui vivent en nous. Mieux les comprendre, pour mieux comprendre que les autres ont les leurs, tout aussi détestables et tout aussi démunis que les nôtres. Cette auto-compassion naît dans l’ouverture, à l’espace clair des bras ouverts de l’esprit. Comme les représentations des divinités, Tchenrézi par exemple, émergent de la vacuité, sans intention et sans but. Si la gentillesse, la douceur, la paix sont les bases de toute autre activité, cela signifie que lorsque nous parlons du courroux de Tchenrézi, nous parlons du courroux de la bonté envers l’ignorance, l’illusion, les poisons de l’esprit toujours tournés vers les intérêts personnels. Mahakala qui est l’aspect courroucé de la compassion manifestée est l’énergie qui déploie les moyens nécessaires pour couper court aux névroses qui entravent l’intelligence primordiale. Comme une mère, qui, par amour, lorsqu’il y a un danger en vue, est capable de lever une énergie phénoménale, pour sauver la vie de son enfant, et ne recule devant rien. Elle peut, sous le masque terrifiant d’un instant, faire peur à la peur. La bonté ce n’est pas céder à tous les caprices de l’ego, c’est couper la complaisance pour répondre à ce qu’exige la situation. S’il y a des mantras de paix, de douceur, il y en a aussi de puissants, de magnétiques, de courroucés, qui ne sont pas à mettre dans tous les esprits, seule la vacuité en est le garant.
En effet, si nous agissons sur la base de réactions intempestives, avec de mauvaises intentions, des désirs de vengeance ou de haine, de méchanceté, et surtout si nous actualisons ces intentions dans des actes pour nuire à d’autres, sachons que nous nuisons d’abord à nous même, par les traces que nous laissons sur notre courant de conscience. La loi du retournement fait que les souffrances nous reviennent, à un moment ou un autre, sous une forme ou une autre. Donc il est bien évident qu’il ne s’agit pas de la colère de l’ego qui égratigne à tout va. Mais d’un entrainement à la vacuité et à la compassion. Car ces énergies sont plus grandes que nous. Attention à ne pas éveiller le champ de force d’un dragon qu’on ne pourrait maîtriser. Le courroux est celui de la bonté non celui des apprentis sorciers.
Dans le texte, la prière qui suit est justement le rappel des quatre activités des bouddhas-bodhisattvas, à mettre en place. Chacun comprendra à son niveau, en fonction de ce que nous avons explicité dans les lignes ci-dessus. L’activité première, est la pacification. Pacifier son propre esprit, les situations, les relations. La paix est la première ressource. Ensuite, il y a l’activité d’enrichissement, de développement, peut-être qu’il y a besoin de chercher de nouvelles solutions, d’apporter de nouveaux éléments pour qu’une situation se débloque. Puis il y a l’activité qui magnétise, rassemble des forces plus vastes, comme une dernière tentative pour retourner ou lever les blocages. Comme lorsque l’orage se prépare. L’énergie est cette électricité que l’on sent dans l’air. Il va se passer quelque chose. Dans quel sens? On ne sait pas. Et enfin, la dernière action est celle de détruire, de déconstruire, de couper court pour qu’autre chose puisse advenir sur de nouvelles bases. Par exemple, si nous avons une dépendance, nous pouvons décider d’apaiser les besoins qui sont en lien avec celle-ci. Nous pouvons même méditer pour faire la paix avec nous-même. Cela ne suffira peut-être pas, nous devrons par exemple nous faire aider pour que notre résolution tienne. Cela peut être de faire un travail thérapeutique, de participer à des groupes de parole. Enfin, nous devrons aussi changer des habitudes, apprendre à dire non à certaines situations, ou à certaines personnes, et cela demandera de se tenir ferme sur ses décisions, de renoncer à certaines relations nocives peut-être pour tenir la promesse faite à soi-même. Enfin si vraiment cela ne porte pas ses fruits, alors nous pourrons choisir de nous isoler, de suivre un traitement hors des lieux familiers, de sortir carrément du contexte ou de l’environnement qui nous maintient dans ce que nous ne voulons plus, de faire une cure pour réussir. Ces énergies ne sont pas linéaires ni forcément graduelles, tout dépend des situations, du moment, de nos aptitudes à être en connexion avec elles. En tant qu’entrainement néanmoins, nous revenons toujours à l’intelligence de la paix, de la bonté, dans les pratiques elles-mêmes. Nos prières et nos souhaits s’adressent à ces champs d’énergie, à les éveiller, à demander leur aide, au-delà de l’égocentrisme n’oeuvrant qu’à son propre intérêt.
Nous les invoquons lorsque notre coeur respire librement dans l’ouverture inentravée, là où appeler ces énergies sacrées en ressource, est un abandon au meilleur de nous-même. A la dissolution des saisies coémerge l’émanation d’une fleur de vacuité-plénitude. Que toute l’adversité des actions erronées soit détruite à l’instant et qu’adviennent de possibles renouveaux!
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