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Bouddha des villes, bouddha des champs

Dernière mise à jour : 10 oct. 2022


Il est une idée très répandue lorsque l’on commence à vouloir s’engager sérieusement sur une voie de transformation spirituelle, c’est que le monde tel que nous le connaissons est inapproprié pour une telle quête. Certaines personnes semblent même opposer le fait de vivre en société avec la poursuite d’un but spirituel. Cela revient éventuellement à séparer le monde en deux catégories, la ville avec ses tentations bruyantes et ses buts mondains et la campagne avec sa nature inspirante et son silence opportun. Mais cette discrimination devient de moins en moins réelle. L’ailleurs ressemble de plus en plus à l’ici que nous connaissons déjà, même si évidemment nous pouvons nous laisser ravir par la beauté sauvage de certains lieux. Dans l’ensemble, les moyens de communication se développant, les choses ont changé.

Revenons au présupposé du début d’un monde comme obstacle. Exister dans le monde serait négatif et reviendrait à entretenir des états samsariques, surtout dans les milieux urbains, alors que la campagne nous mettrait un peu plus à l’abri, à l’écart de tous ces pièges et nous permettrait d’être un peu plus vrai. Oui et non, les choses ont changé.

A l’époque de Siddharta, toute la société était divisée en petits états tribaux. Dans l’Inde ancienne, si vous deveniez un pratiquant sérieux, vous quittiez la ville pour vous engager dans des pratiques yogiques et contemplatives au milieu des forêts.

Or au 21ème siècle, en occident, comment comprendre le contexte des enseignements ? Nous devons admettre une nouvelle étape dans ce développement historique, c’est qu’aujourd’hui il est quasi-impossible d’échapper au bruit du monde, que l’on soit à la ville ou à la campagne n’y change pas grand-chose. Même à l’autre bout du monde. Même dans des lieux de retraite au cadre enchanteur, il y a les dernières commodités de la ville : connexion internet, codes wifi et portables qui cherchent à passer la barrière des montagnes, tout cela est devenu incontournable. Certes nous pouvons l’ignorer ou pester ou nous pouvons regarder cette condition comme la nécessité d’intégrer la pratique là où nous vivons. Autre exemple : si vous ne pouvez vous passer de votre portable lors de quelques jours de retraite à la campagne, alors faites l’inverse pratiquez là où vous êtes avec votre portable branché. C’est même peut-être lui le maître de votre libération puisqu’il l’est de votre dépendance. A chacun de voir comment appliquer les enseignements sans se trouver des excuses à chaque pas.

De toutes façons, il ne s’agit pas d’être hors du monde ni de s’y complaire avec avidité mais de reconnaître que l’on ne peut pas plus échapper au monde qu’à son propre esprit.

La non séparation entre la quête individuelle et la vie en société est une façon d’envisager l’interdépendance. Il semble aujourd’hui que la transformation personnelle et celle de la société sont complètement intriquées. Nous ne pouvons vive isolés, et de fait, l’enseignement du Bouddha ne prône pas l’isolement, voire l’isolationnisme.

Après l’extase la lessive, selon le titre d’un livre de Jack Kornfield, nous dit clairement qu’après une retraite dans les hauteurs des montagnes, il faut redescendre dans la vallée et se mouiller les mains. Vous réalisez alors que ne pouvant échapper au monde, vous devez embrasser le monde comme une part essentielle de votre pratique. Les premiers mois d’une longue retraite, on ressent très fort combien nos pensées, nos émotions, sont reliées aux autres et influencées par le milieu dans lequel nous vivons: familles, amis, enseignants, etc. Nous ne pouvons exclure le contexte social dont nous héritons et au sein duquel nous pensons et évoluons. Nous sommes tous sous influence, c’est certain. Cependant, cela ne signifie pas que nous sommes dénués de créativité, à nous de repenser le déjà pensé ambiant évidemment, enfin à chacun de voir.

Quand nous prenons conscience véritablement de l’interdépendance, nous nous vivons alors comme connectés nous mêmes à l’ensemble du monde et profondément empathiques car cela nous rappelle que les conditions mêmes qui nous permettent de pratiquer sont le fruit d’inter connections plus vastes. Et que celles-ci pourraient changer. Alors vient la gratitude, la reconnaissance, la bonté et l’aspiration que recevant beaucoup, nous pouvons donner beaucoup aussi, à notre tour car nous faisons complètement partie de tous ces systèmes et pouvons aussi les influencer. En payant nos dettes, nous évoluons dans la conscience de nos qualités. Car des qualités sans la conscience de ce que l’on peut en faire ne servent pas à grand-chose. Ce sont de belles princesses endormies qui deviendront toutes sèches et tomberont d’elles-mêmes en poussière, dans les oublis et les regrets de vies pas assez vécues.

En quelque sorte chacun hérite d’un contexte et en même temps chacun est aussi l’héritier de son propre karma. Qu’est-ce que ça veut dire? Déjà clarifions ce point : hériter de son propre karma n’est pas se condamner et se juger mais plutôt réaliser que nous avons chacun le pouvoir de le changer. C’est ce que nous propose l’enseignement. Et pour cela nous devons travailler chacun avec notre propre esprit, nos habitudes et conditionnements. Personne ne peut le faire à notre place, ni les relations spirituelles, romantiques ou autres ne nous sauveront de cette rencontre avec notre propre esprit.

Finalement ces deux notions se rejoignent, celle de l’interdépendance et celle de la responsabilité personnelle. L’interdépendance donne un contexte approprié pour comprendre le karma. C’est quand nous sommes conscient de l’interdépendance que nous commençons à voir la réelle importance de la responsabilité personnelle. Sinon pratiquer revient à s’isoler dans une bulle où rien ne nous touche, à développer arrogance et cruauté.

Or sur le coussin nous sommes nombreux, il y a tous nos ascendants et les relations que nous entretenons avec eux, source d’émotions; il y a tous nos descendants et les relations que nous entretenons avec eux, source d’émotions; il y a ceux avec qui nous partageons aujourd’hui des liens et les relations que nous entretenons, source d’émotions; il y a le monde dans lequel nous vivons qui s’assoit aussi chaque matin à travers toutes nos connections déjà branchées et qui stimule des ressentis, des interrogations, des émotions dans notre esprit. Le coussin n’est pas le confort solipsiste d’un ego occupé à se faire chef d’oeuvre personnel et centré sur le plaisir de ses alignements mais le face à face avec la déstabilisation générale de mondes qui nous traversent, s’écroulent, parfois aussi à l’improviste, quand l’ego a oublié de mettre le verrou de ses résistances.

Qui n’a jamais senti la souffrance le transpercer sur son coussin n’y a jamais rencontré personne d’autre que l’édification de ses propres défenses. Je ne parle pas de sensiblerie mais de coeur mis à nu. Même si ce qui touche le fond n’est pas le fond, pour le savoir pas d’autre choix que la descente.

Sous le coussin il y a le petit pois de bodhicitta qui nous fait ressentir de plein fouet la souffrance et ses graines, qui nous fait vivre à la fois l’interdépendance de tous les systèmes et notre propre responsabilité dans ce que nous semons.

Vu ainsi la pratique est pleine de bonnes nouvelles et en même temps dérangeante. Il ne s’agit pas d’être zen, impassible et bien centré mais d’inclure les claudications du coeur, de sentir le millième de millimètre d’un cheveu sur la paume de la main. Il ne s’agit pas d’être droit sans être flexible, ou d’être centré dans l’exclusion des autres. Si vous remarquez que vous vous ennuyez dans votre pratique ou que votre autosatisfaction atteint des limites insoutenables, alors ouvrez les yeux et regardez autour de vous et en vous, vous y découvrirez de quoi entraîner une réelle compassion totalement allocentrée. Vous vous rappellerez que l’ouverture du coeur, en son état naturel, n’exclut rien ni personne.

Le petit pois de souffrance appelle à germer en compassion faire table rase de son arrogance et laisser place au creux du coussin au vide salutaire où s’asseoir à côté d’un bouddha des villes ou d’un bouddha des champs peu importe reste ouvert à l’instant sans craindre la pluie venue sur les trottoirs glissants de ton coeur –

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