La peur est une expérience intense que nous vivons tous dans notre vie. Tout le monde connaît le stress de la peur, humains comme animaux. Elle peut paralyser ou au contraire booster nos capacités. Elle peut nous faire expérimenter une vigilance extrême ou nous terrasser sur place. La peur a différents visages avec lesquels nous pouvons apprendre à nous familiariser afin de voir ce que ces expressions nous enseignent. Sur la voie, il est fréquent de parler de non-peur. Cela parait comme un but attestant de notre progression spirituelle. Or ce que nous constatons parfois c’est que cela génère souvent des attitudes très arrogantes et somme toute très illusoires de la part des pratiquants. Cela devient un but très élevé et un défi spirituel où on risque de se casser les dents. Cela revient à nier ce que nous vivons en tant qu’être humain, de chair et de sang, essentiellement la peur. Peur de mourir, peur de vivre, peur d’être abandonné, peur de manquer, peur de la maladie, de la vieillesse, de perdre son emploi, etc. notre vie quotidienne est largement traversé par la peur. Certes la notion de non-peur a son sens mais pas tel que nous l’imaginons habituellement. Il nous faut affronter nos peurs comme autant de moyens d’accepter véritablement d’être là où nous sommes, des êtres en voie de chantier inachevé avec l’existence et l’éveil. La voie du héros d’éveil insiste sur la vaillance et la non-peur mais nous devons rester humble et persévérant, garder la tête sur les épaules, en reconnaissant la puissance des effets des émotions sur nous et autrui. Alors nous pourrons commencer à travailler pas à pas et honnêtement avec la vérité de ce qui est.
La voie est dévoilement, désillusion, lucidité pas toujours agréable pour nos fabrications mentales et idéales mais en même temps c’est cela la vraie voie, cette totale sincérité qui commence par l’acceptation des êtres de chair et de sang que nous sommes, tremblants, vulnérables et exposés. Ce que nous apprenons en tant que pratiquant sur la voie est de déceler les obstacles que sont les histoires spirituelles qu’on se raconte qui nous entraînent dans des voies de garage, nous déçoivent en fin de compte et nous font nous juger comme des cas désespérés. En même temps accepter vraiment d’être un cas désespéré est un premier pas plutôt encourageant. On fait face à ce qui est. On fait face à toutes ces expériences déstabilisantes dans un premier temps d’autant plus qu’on ne les veut pas. Au final ces expériences nous font découvrir le don de ce que nous vivons.
Recevoir la peur comme un don qui nous relie à l’acuité vivante de l’instant est une expérience d’humilité qui nous fait profondément toucher et apprécier la terre sur laquelle nous sommes. Et là nous pouvons avancer. Conscients que tous éprouvent des peurs, nous souhaitons développer la bienveillance, la protection, la générosité. Lorsque nous sommes parents, nous avons souvent plus peur pour nos enfants que pour nous même, ce qui éveille la compassion, le désir de prendre la souffrance de l’autre et surtout de comment en être plus capable, cela aiguise notre entraînement. Comme le rappelle une image du Mahayana pour décrire la compassion : nous sommes comme une mère sans bras qui verrait son enfant se noyer sous ses yeux. Cet exemple illustre à la fois l’impuissance et l’irrésistible compassion qui ne renonce jamais. Il y a dans ces images le rappel de tenir ensemble notre désir profond de compassion et notre impuissance, ce qui nous incite à continuer à travailler avec ce qui se présente sans se lasser. Là nous pouvons avancer dans ce paradoxe qui consiste à réaliser qu’une aspiration sincère pour se concrétiser ne doit pas lâcher la réalité dans laquelle elle évolue, si douloureuse soit-elle. La peur est un aiguillon qui oblige à ne pas rester sur ses acquis mais à faire le tour de notre humanité en quête de refuge. Qu’offrir comme protection, autrement comme refuge ?
Le refuge est une notion fondamentale de la voie. Nous comprenons son vrai sens si nous voyons combien tout ce que nous prenons pour refuge habituellement est vain et ne correspond pas à ce que nous appelons ici refuge. On peut se réfugier dans toutes sortes d’illusions, d’addictions mais aussi dans de fausses compréhensions spirituelles. Ordinairement, se réfugier est parfois compris comme ne pas vouloir faire face à ce qui est, parce que c’est trop douloureux ou parce que nous avons peur de ce qui nous attend. Du point de vue de la pratique, le refuge est de ne pas quitter l’ouverture innée et si tel est le cas de s’en rendre compte. Il s’agit de prendre refuge en les qualités ou dons de l’esprit, l’ouverture innée, la clarté lucide innée, la félicité innée. Entrer ou aller en refuge est retrouver ce sens du don, de ce qui est déjà là, de l’expérimenter très concrètement dans la pratique et les situations. De cette conscience des dons et qualités, alors nous regarderons la peur différemment. Nous la verrons comme un chemin possible vers la non peur. Plutôt que de chercher à s’en débarrasser ou penser l’avoir vaincue, nous apprendrons à nous y confronter, nous laissant aller dans la présence ouverte à une expérience claire et directe de sa nature.
Voir qu’il y a au sein de la peur la possibilité d’un retournement qui ne peut avoir lieu qu’en acceptant radicalement le cas désespéré que nous sommes. L’acceptation n’est pas la résignation mais le don de la totale ouverture innée de l’esprit au coeur de laquelle nous recevons l’irrecevable.
Et là nous pouvons avancer vraiment de quelques pas vers la transformation.
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