La façon dont habituellement nous employons le mot “conscience” ne rend pas aisé la compréhension de ce terme en méditation. Nous identifions la conscience à un “plus de” en général plus d’attention, de présence et donc précisément “plus de conscience de”. Conscience de ce qui se passe, conscience de soi, conscience d’être conscient, voire conscience d’être conscient d’être conscient, et si nous saisissons cela en solidifiant un processus déjà présent au départ, nous allons rencontrer un certain nombre de difficultés, allant du mal de tête à la folie d’un ego en roue libre qui cherche en vain la sortie de ses origines. Cela a tendance à nous faire croire que la conscience ressemble à une hypervigilance de chaque instant, une superconscience de soi qui non seulement ne relâcherait pas la pression mais au contraire l’augmenterait. Ce n’est pas ainsi qu’il faut entendre le terme de “pleine conscience”. Certes il y a des exercices pour aviver et affiner l’attention. D’ailleurs le mot “attention” comporte les mêmes difficultés que le mot “conscience“. Les deux sont liés dans l’expérience de l’apprentissage de la méditation, et même de l’apprentissage tout court.
Être plus attentif est mettre plus de conscience dans ce que l’on fait, y être plus présent, en opposition au fait que nous sommes distrait et agité. Cela a sens en comparaison de nos habitudes à nous couper, à nous séparer des sensations, émotions, de l’action même. Si vous apprenez la menuiserie, vous devez être présent à ce qui se passe, et cette présence de votre conscience comporte un champ large, diffus et focus à la fois, cela dépend de l’action que vous faites mais si vous commencez à vous observer pour vérifier que vous êtes bien là, une légère dissociation peut vous faire commettre des maladresses, vous vous tapez sur les doigts ou pire encore.
De fait, le mot “attention” devient synonyme de danger imminent. Or dans la pratique “attention” peut s’écrire a-tension, sans tension et donc l’entendre comme laisser être la qualité lucide de l’esprit, diffus et focus à la fois. L’attention est une faculté cognitive que nous avons déjà, simplement elle est le plus souvent dans une forme de dispersion face à la diversité des objets possibles, générant alors distractions voire confusion. De plus, notre attention peut aussi être accaparée par des monstres émotionnels, des détresses affectives, des conflits qui cherchent à se résoudre, le stress ou de mauvaises habitudes de vie. Apprendre à méditer est donc se relier à nouveau, avec simplicité, à cette capacité d’attention nue et dégagée de sorte à savoir se dégager de l’investissement de saisies permanentes et laisser être l’ouverture et l’acuité, lieu de toute inter-action.
C’est d’abord un entraînement mais comme tout entraînement dans la pratique il tend à nous faire retrouver un état naturel déjà là et inspiré par celui-ci. Toute pratique contient en elle un éveil naturel à ce qui est. Ce ne sont pas les pratiques qui nous éveillent mais le fait qu’elles s’effacent en fin de compte pour laisser place à ce qui était déjà là. C’est une autre façon de voir, de regarder le sens profond des méditations. Ainsi ce n’est pas la pratique de la compassion qui nous rendra compatissant mais la réalisation que la compassion est déjà là mais que nous en étions séparés par toutes sortes de couches, de voiles inhérents au fonctionnement habituel de l’esprit.
Ainsi “pleine” n’est pas “remplie” mais plutôt “plaine” au sens de “dégagé”. La pleine conscience n’est pas une surenchère de conscience de soi et de ce que l’on est en train de faire à chaque instant, ce qui serait assurément un enfer et impossible mais le fait de laisser l’esprit tel quel dans son acuité naturelle d’attention nue et dégagée. La pleine conscience est alors l’oubli d’un soi qui se saisirait à répétition dans l’instant pour une ouverture auto-connaissante, la luminosité naturelle de l’esprit, ce qui inclut toutes sortes d’expériences.
Ainsi la pleine conscience inclut tout, c’est pourquoi elle est “pleine” au sens où elle ne s’oppose pas à l’action, à la création, au rêve, à la mémoire qui sont aussi notre expérience. Dans un premier temps il s’agit de défaire, de déconstruire la tendance à cloisonner, même si, de façon didactique nous avons besoin de savoir où nous en sommes. Comme le rappelle le sutra des quatre attentions, lorsque nous sommes agités, nous savons que nous sommes agités, lorsque nous sommes heureux, nous savons que nous sommes heureux, etc. ce que vit le pratiquant, ce “il sait” renvoie à il est au courant, il est dans le courant de ce qui est, de manière directe. Même si chaque instant semble séquencé dans l’entraînement, cela finit par laisser place à l’acuité naturelle de l’esprit, sans tension et sans saisie d’un soi qui s’auto-observerait pour se valider à chaque instant. Ce sont des notions subtiles et il est bien de rendre compte de sa pratique pour éclaircir les mauvaises compréhensions faciles lorsque les termes ont déjà une histoire philosophique et culturelle d’une part et sont d’autre part employés dans de nombreux contextes.
Ainsi une fois il m’est arrivé de dire que la pleine conscience était l’oubli de soi, non une super-production de l’ego ou alors son striptease consenti. Même cette formulation “oubli de soi” ne doit pas nous faire pencher vers plus d’inconscience et d’indifférence que nous n’en vivons déjà. S’oublier soi dans la saisie d’un soi n’annule pas la personne que nous sommes. Vous enlevez vos habits le soir ou en changez le matin, et au final êtes toujours nus dessous, sans contrainte et libre de regard. La nudité ne juge pas mais soi se regardant être nu nous positionne. Bien évidemment c’est une image, cela n’a rien à voir avec la morale ou la pudeur. J’espère que vous comprendrez cette métaphore au niveau où elle vous est livrée. Il n’y a pas rien, à nous de comprendre la métaphore au niveau où nous sommes aujourd’hui. La pleine conscience est se mettre dans l’expansion de toutes les dimensions de la conscience. A quoi servirait l’ouverture si dans cette ouverture il n’y avait que moi? A quoi servirait la pleine conscience si dans cette expérience je devenais mon propre prisonnier? Nous avons donc besoin de réfléchir, de nous questionner et d’élucider ce que nous pratiquons lors d’enseignements ou d’entretiens sur ces aspects délicats.
A ce sujet, il faut préciser qu’il est parfois difficile de répondre à des questions lorsque des personnes suivent des enseignements différents. Chaque enseignement est un système qui a sa propre cohérence. Nous devons réaliser que les mêmes mots ne recouvrent pas forcément la même signification mais que cela peut être juste selon le point de vue du système. C’est pourquoi il est important de ne pas partager ses expériences à tout va. Certes cela peut donner une ouverture, en ce cas, pas de problème, surtout si vous prenez le temps de vous renseigner et de questionner au-delà des mots-évidences. Sinon cela aboutit soit à des débats stériles soit à des doutes inutiles. Ne pas s’attacher aux mots mais vérifier leur signification et le contexte dans lequel ils sont employés. Cela évitera de rajouter de la confusion à ce qui n’est déjà pas très clair. Il faut pratiquer suffisamment longtemps dans un contexte pour en voir les fruits et être capable de faire des liens ou des passerelles ou de marquer les différences avec clarté et bienveillance.
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