Toute pratique va vers le non attachement, du sexe comme d’autre chose. En ce qui concerne le sexe, l’abstinence est parfois partielle ou totale, en tant que relation à un autre, néanmoins l’énergie reste à transmuter. Selon les personnes, les choix de vie éthique peuvent être monastiques ou autres, comme vivre à deux dans ce même esprit de pratiquant-renonçant, vivre en yogis : utiliser les attachements les plus forts pour nous en libérer. De mauvaises compréhensions s’élèvent parfois lorsque l’on parle du tantra, qui est le fruit d’une discipline intérieure stricte et non le laisser aller débridé des pulsions. Aujourd’hui, nous constatons qu’il existe dans le domaine des relations beaucoup de souffrance et d’instabilité où chacun se débat comme il peut avec ses névroses et ses frustrations.
Le tantra n’est ni une thérapie sexuelle ni un défoulement. Qui joue avec le feu se verra servir des incendies émotionnels en guise de rétribution. A une époque où il est bien difficile de définir ce qu’est la sexualité, l’amour, la vie à deux, chacun nage dans un mal-être où de nouveaux modèles sont peut-être à trouver, à moins que la désacralisation de l’amour et la démocratisation du sexe n’aient raison en fin de compte de toute nouvelle inventivité.
Dans le dharma, nous savons qu’aimer n’est pas réduit au sexe et nous savons aussi que le sexe peut-être redécouvert comme puissance d’éveil. Seulement dans une discipline intérieure voire secrète qui nous liant à notre vraie nature utilise l’attachement pour le déraciner. C’est dire que cela repose de toutes façons sur un renoncement à une vision ordinaire, une stabilisation intérieure et une transmutation directe, comme le feu consume le feu.
Tant que nous existons, nous souhaitons vivre la passion intense de nous sentir vivant. Et le corps s’y entend pour nous le rappeler. Ce n’est pas pour autant que nous devons devenir des caricatures de nous-même, n’existant qu’à travers l’assouvissement de tendances qui n’ont jamais de fin. Boire de l’eau salée n’étanche pas la soif. S’empêcher de boire non plus.
Sur le chemin de la voie du milieu, nous ne prêchons aucune moralité ni amoralité, car finalement le choix revient à chacun, comme nous l’avons souligné précédemment, dans une époque dépourvue de repères et d’inspiration dans des domaines pourtant essentiels de la vie humaine, ceux de l’affectivité, de la relation, et finalement des origines d’où nous venons. Nous avons besoin de prendre en compte la globalité de ce que nous sommes, car cette globalité nous fonde. Cependant il y a de multiples façons de vivre la relation à cette globalité, avec ou en dehors des normes sociales car la spiritualité n’est pas l’adhésion à un code déjà formaté.
Pour les personnes qui pratiquent et vivent en couple, quelque soit le couple, la bienveillance et le respect ainsi que le désir réitéré de cheminer malgré les difficultés inhérentes à toute relation est la base qui permet de se consacrer au développement spirituel de chacun, dans une voie du quotidien, la plus difficile.
Chacun sait sa solitude fondamentale et ne craint pas de l’affronter. De cette conscience fine de l’illusion et de la mort, chacun éveille en soi un moine, qu’il soit homme ou femme, et ne résiste plus au dépouillement. Homme ou femme, pratiquer est vivre le sexe du moine, du latin monos, un et seul.
Une relation ancrée dans l’enseignement est un trésor inestimable pour qui sait cheminer avec. C’est souvent le manque de relation à l’ultime qui nous fait chercher dans les relations habituelles des états de dépendance passionnelle.
Nous avons tous besoin de tendresse partagée, de soutien mutuel et en même temps de nous émanciper de tous nos attachements. Le comprendre à deux donne une dimension unique à une relation, fondée non plus sur l’attachement ordinaire mais sur s’aider mutuellement au non attachement.
L’énergie sexuelle est la racine la plus puissante de la transmutation car il s’agit des racines pulsionnelles de l’existence. Dégager cette énergie de la gangue sentimentale qui l’étouffe, mais aussi rester vigilant à ne pas nourrir non plus la dépendance pulsionnelle, ce qui est somme toute beaucoup plus difficile à percevoir. Nous sommes là dans des sphères complexes et c’est à chacun de s’en remettre à la justesse de l’enseignement et à des personnes avisées à l’éthique irréprochable.
Il est aussi fréquent de justifier le non attachement émotionnel par l’absence de relation suivie qui en serait la cause ou de vivre sa “liberté” par la multiplication des relations. Ce qui amuse le moine en nous pour peu qu’on l’ait un peu côtoyé sur le coussin, il est difficile en effet de maîtriser ce qui en général nous manipule. Ce n’est pas en générant plus de confusion qu’on soigne la confusion. Mais notre raison est habile à justifier nos égarements.
Rien n’est immuable et chacun traverse des crises, des étapes, des cycles où vieillir est redouté, d’autant plus que cela s’assimile de plus en plus tôt à la frustration et à l’isolement social et tout ce qui va avec. La crise, les crises c’est juste le réveil du démon avant sa mise à mort. C’est toujours un cap à passer car le démon s’y connaît en leurre et en fascination, en promesses de futurs moins défectueux mais tout compte fait, le samsara restera toujours défectueux, nous pouvons donc nous détendre et accueillir ce qui est avec équanimité.
Les hommes et les femmes partagent-ils la même vision ? Nous n’allons pas entrer dans les spécificités de chacune des énergies ici. Mais en tant que pratiquant(e), le point commun entre les deux peut être le désir de travailler avec la racine du désir dans la vision du non soi, où vivre la plénitude énergétique qui nous libérera des racines pulsionnelles coémergentes à l’apparition de la saisie d’un corps auquel on s’identifie et se limite. Avant toute chose, rappellons-nous qu’il s’agit de toutes façons de reconnaître les émotions et les états samsariques qui nous gouvernent. Rien qu’avec cette dimension on a déjà largement de quoi faire.
Si nous pratiquons nous sentons que toutes les souches de notre personne sont impliquées dès le départ dans cet apprentissage à être, à faire face à ce qui est. La sexualité n’y échappe pas. Cela peut commencer par voir ses dépendances, ses manques affectifs, ses peurs jusqu’aux grandes émotions et passions qui nous agitent. Plus nous entrons dans la profondeur de la voie, de l’expérience, plus nous en comprenons le sens profond, la non saisie, le non attachement (qui n’est pas la non–relation) qui en est au cœur. Cela sera nécessairement vécu à travers l’attachement puisque c’est notre condition d’être humain au départ et à l’arrivée d’ailleurs où il nous faudra lâcher nos derniers oripeaux, et partir nu, seul et les mains vides. En devenant plus conscient de l’interaction dynamique de ces aspects, et en ayant la capacité de faire face aux énergies puissantes de la vie qui nous traversent, nous pouvons inclure la sexualité de façon sacrée comme moyen de libération et choisir ainsi d’élever librement tous les niveaux de notre être.
En corps je suis l’extase adamantine En parole la dakini de rubis En esprit félicité vide – agrégats et éléments sont les secrets de la mutation – bras et jambes terrassent la mort doigts et orteils déploient le mandala Et dans tous les poils de mon corps sont les bouddhas des trois temps –
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