Notre vision des choses est souvent très plate, cadrée et uniforme. Alors que nous avons par ailleurs, intégré l’idée d’espace à n dimensions, de multidimensionnalité, de fractales, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, dans notre approche du monde, et plus triste encore, dans celle de la relation à notre esprit et à ce qui le décrit nous restons souvent cognitivement limité et scolaire. Nous ne décollons pas. Le vertige de l’instant, les yeux levés vers le ciel nous indispose, c’est pourtant une pratique, s’absorber dans l’espace infini du ciel, destinée à nous catapulter hors des sentiers battus et à nous faire réintégrer le quotidien autrement.
Les mots sont tentants à employer : volume, fractales, multidimentionnalité de l’expérience, coémergence, synchronisation de processus, etc. mais il ne faudrait pas s’en contenter, au risque de juste se déplacer dans un carré un peu plus grand et séduisant. Le langage montre sa limite en ce domaine. Les mots c’est un peu comme une maison, vous en changez peut-être pour plus grand mais finalement vous n’utilisez pas tout le volume nouveau et vous vous retrouvez à n’habiter qu’une petite surface, ce qui au final est un peu décevant.
Méditer ouvre grand l’esprit, c’est séduisant mais au final nous n’avons pas besoin de tant d’espace, nous préférons revenir nous nicher dans le carré de nos habitudes, un petit peu élargi, sauf que l’espace a grignoté les bords de la maison et vous vous rendez compte que votre nouvelle demeure est bien plus vaste encore que ce votre imagination était capable d’envisager.
Si nous en restons à une vision plate, sèche, réduite à une logique de l’exclusion, à l’uniformité des pensées et des imaginaires, cela n’aide pas à pénétrer le sens profond de la nature de l’esprit. On ne peut plus se contenter de décliner être libre à tous les temps, il nous faut l’incarner, l’agir. Et c’est de cela dont il s’agit : d’action, de synchronisation et d’incarnation.
Certes tout est question de point de vue me direz-vous. Même si on sait que la terre n’est pas plate on peut toujours la percevoir ainsi car d’un certain regard, celui des sens limités, cela se tient. Mais d’un autre angle, cela ne tient plus et nous demande de changer notre vision plutôt que de faire rentrer dans la petite case ordinaire les nouvelles données recueillies. Avec la nature de l’esprit il en va de même, un soi dans sa logique binaire a tendance à ériger des carrés, des boites, des prisons. Avec un peu plus d’espace et d’ouverture, le carré sera un peu plus grand, les idées plus larges, l’aménagement intérieur plus mobile mais cela restera toujours un carré. La prise de conscience que bien que se manifestant le carré n’existe pas est un cran au-dessus comme réaliser que le but de la méditation est réaliser que la méditation n’existe pas. Encore faut-il aller au bout, avec la fraîcheur obstinée qu’implique l’entraînement à l’instant.
L’analogie du carré, vous l’avez comprise, est ce qui reflète notre perception habituelle et le langage qui y correspond. Ainsi lorsque nous expliquons la notion de mandala nous avons tendance à rester linéaire et à cloisonner en binaire. Donner du volume est pénétrer en profondeur, avec le regard du bouddha, c’est-à-dire celui des multiples dimensions qui se répètent à l’infini, dans une trame vivante de résonances, en volume et en interaction. Il ne s’agit pas de jeter le carré, nous y sommes mais de le vivre différemment. Le carré devient mandala en cinq points. Le carré devient kaléidoscope, jeu dynamique d’interactions où des structures nouvelles jouent entre elles. Car l’espace n’est pas l’absence de structure mais la dynamique possible de toute structure. De même que l’ouverture n’est pas un vide béat mais l’apparition du jeu des apparences dans leur multiplicité synergique.
Par exemple, méditer est voir les choses telles qu’elles sont, ce qui est : voir l’espace entre, voir l’espace et les liens entre, voir l’espace et la complexité des résonances habitant l’espace, voir la nature claire et vide de l’espace, voir au-delà de la notion même d’espace dans le volume d’un point à l’instant. La structure n’est pas un cadre, elle se déplace, elle est flexible et susceptible d’intégrer de nouvelles données et connexions. Que tombent les murs de la maison et l’espace tout entier était déjà là, et toutes les dynamiques d’interactions se révèlent. Ce qui impulse dans une direction nous l’appelons énergie coémergente, déploiement des mouvements, dynamique incessante.
Nous devons faire attention en méditant à ne pas nous cloner nous même à l’infini de nous même et des pires dérives de la chose. Sinon nous deviendrons un vieux pruneau desséché sur le nuage rose d’un coussin. La névrose arrive vite de confondre l’aile de l’assise avec le formol et le plomb. C’est le risque de tout volume récupéré par un carré dictatorial.
Je vous rassure, ne jetez pas votre carré ni votre maison, inutile! car ils sont l’opportunité des possibles, la pierre de touche des volumes à venir.
Vue nouvelle, langue nouvelle, sens nouveaux, sinon nous ratons le coche d’un satori à portée de silence.
Lorsque nous parlons d’espace ce n’est pas l’espace en lui-même qui nous intéresse mais l’insaisissable retournement telle une danse dans toutes les dimensions, ce qui vivifie la vision à l’adhésion et à l’intelligence du coeur, à l’action non séparée de l’être et laisse saillir l’envol de nos racines vers de nouvelles semences.
la grâce d’une ouverture a chu tu ne sais d’où – la maison s’est éboulée au sentier d’un carré si parfait qu’il ne pouvait que montrer la pile évanescente de ses mécanismes trop bien huilés – la grâce d’une ouverture a chu – tu avais préparé le terrain sans savoir à quel moment la brèche serait la soustraction de la dernière pierre à l’édifice – tu as pris sur la tête le satori du silence et tu es parti sur l’autre rive chanter l’éveil –
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