Lorsque nous avons passé un temps ailleurs à pratiquer dans un endroit où la nature nous remet en contact avec notre vraie nature, libre, ouverte et claire, nous repartons totalement oxygéné, régénéré et confiant. Et là on rentre chez soi et après un temps plus ou moins court le mur des habitudes refait surface. Et parfois nettement plus grand qu’avant…
Avez-vous déjà éprouvé cette sensation d’être enfermé, à nouveau restreint et limité dans votre aspiration au grand large, dès que vous avez franchi la porte de chez vous? Heureux d’y être et en même temps inquiet de l’état dans lequel vous allez retrouver les murs. Vous suspectez des remises en cage, des démissions de courage, des envies de repartir là où l’herbe est plus verte, comme par hasard c’est toujours ailleurs.
Entre l’espace et vous, entre la liberté et vous, entre vous et les autres, entre vous et vous, il y a des murs qui n’existent pas fondamentalement mais qui se recréent sous la force des habitudes qu’on en vient à détester. Certes, il y a de bonnes habitudes et il y en a de moins bonnes. C’est à se taper la tête contre les murs – à chercher à les défoncer – à défouler nos pulsions sur eux – aïe! oui mais ça fait mal quand même! Et est-ce la faute au mur? Tiens assieds -toi sur ce petit muret et parlons en.
Pauvre mur, embrassons le! lui qui nous protège des intempéries et que nous avons peut-être même édifié avec nos qualités pour y mettre à l’abri ceux que nous aimons mais avec le temps nous oublions, nous n’arrivons plus à voir les choses ainsi. Le mur suinte, le mur bouge, le mur a besoin qu’on s’occupe de lui, qu’on lui remette des couleurs, qu’on cesse de projeter sur lui toutes nos distances.
Lors des sessions de méditation – après la méditation marchée – j’invite les personnes à se rapprocher d’un mur – comme lorsque l’on fait zazen. Etre tourné vers l’extérieur – face au mur – est une expérience d’intensité variable selon les personnes et leur histoire : certaines ont l’impression d’être punies – d’autres d’être face à leur impuissance ou cela fait monter la colère ou la résignation – ou au contraire de se sentir plus libres – bref autant d’expériences que de nuages au-dessus des champs. Ayant commencé la pratique de la méditation tout au début de mon cheminement par zazen – comme vous vous en doutez peut-être – j’adore les murs – il faut dire aussi que j’ai vu s’écrouler beaucoup de murs autour de moi je connais donc bien dans la mémoire de ma forme d’eau la valeur des murs qui vous portent – mais ceci est une autre histoire –
Etre mis au pied du mur de l’éveil est vrai à chaque situation que nous rencontrons où nous nous cognons – là où les murs symboliques rejoignent les vrais – partir – s’exiler – quitter – laisser sa maison un peu beaucoup de son âme dans les murs – parfois la vie, avec l’aide des autres, ne nous donne pas les moyens d’expérimenter autre chose que la prison, le déracinement, la désolation . Soit! Etre au pied du mur c’est se retrouver benêt comme lorsque la plume tombe au pied du simplet dans le conte les trois plumes – dans quelle direction aller? ici et maintenant? pourtant ça semble mieux ailleurs – d’ailleurs certains ont trouvé comment pousser les murs de leur prison en en trouvant une plus jolie ailleurs – suffit de changer de bambouseraie et la vie est beaucoup plus belle soudain le samsara s’allège – on en oublie même les murs – lorsque la vie des autres nous fait renier nos choix nous devenons comme des voleurs avides nous voulons tout effacer et recommencer à zéro – Par expérience je sais qu’on peut faire confiance aux murs pour vous flanquer par terre.
Alors allons-y regardons ce mur ci et lâchons du lest! Au final le mur nous transfigure – change notre regard – est un sacré koan de liberté. De quel côté du mur es-tu? Inévitablement nous oscillons entre des désirs d’échappées belles hors des murs qui sont en nous dans nos jugements, nos dénigrements, nos pulsions de destruction – on ne voit plus à quoi sert un mur on veut le pousser pour l’installer ailleurs mais c’est toujours les murs en nous que nous déplaçons – parfois les murs se font oublier pour mieux nous enserrer, nous façonner, nous faire croire à leur inocuité. Un peu comme le château de Barbe-Bleue mais qu’y-a-t-il derrière ce petit mur où il m’est interdit d’aller? On finit toujours par tomber sur un os voire un tas de cadavres empilées que monsieur ou madame avait bien dissimulé sous le tapis.
A contrario, si on regarde au pied d’un mur on y voit pousser pas mal de dentelles fleuries, d’eau qui coule sous les ponts, d’oiseaux qui font leur nid dans ses trouées. Même abîmés ils peuvent encore servir. Tu pourrais peut-être en faire quelque chose non? Certains murs ont des oreilles c’est certain – ils ont entendu plein de rires et de secrets – certains pleurent leur effondrement – car même un mur est si fragile, si vulnérable qu’il peut disparaître aussi vite qu’il s’est érigé. Long à construire, balayé en un coup de pelleteuse mentale – On peut être emmuré sans aucun mur autour de soi, emmuré dans ses non-dits, sa non écoute, sa bulle de petit poisson qui tourne en rond dans ses murs de verre. Oui aussi. Nous avons une fâcheuse tendance à aimer détruire seul ce que nous avons construit avec d’autres – détruire est facile et rapide – et si on n’a plus de murs wangmo on va méditer au pied de quoi, tu peux nous le dire? Rassurez-vous là où y en n’a pas besoin y en a qui en font! Non, on ne va pas se lamenter!
Nous pouvons être reconnaissants pour les murs de nos maisons et souhaiter qu’ils restent vivants hospitaliers et accueillants tant que nous le serons tant que nous y serons – que les rires et la vie s’y épandent – qu’ils puissent offrir un hâve de paix – que l’énergie bienveillante et aimante y circule – que le dehors entre dedans – que de bonnes odeurs s’en échappent – honorons nos mémoires partageons les avec nos hôtes de chaque côté des murs – arrondissons nous aux angles de la mort – avant notre dernière demeure –
sans abri sans rire et sans chanson le coeur ouvert à toutes les ruines offrir de ses mains un siège de lotus en guise d’accueil offrir le gîte et le couvert tiens mets une assiette pour l’invité surprise dit grand-mère ainsi faisaient les abeilles ouvrières des cités pauvres de mon enfance Pousse les murs de l’indifférence fais une place laisse entrer laisse sortir le vent de la tendresse ne crains rien Le mur de mes bras te soutient te réchauffe et te protège Laisse sur les murs criblés de balles pousser des fleurs –
Bon dimanche où rompre sa solitude en rompant le pain le partageant avec bonheur à la table des invités – l’amour se mange en silence à l’écoute des mâchoires des mendiants rois et reines que nous sommes tous – l’amour digère la haine et le rejet – l’amour ne repousse rien qui simplement s’asseoit à l’ombre d’un mur et patiente –
Comments