“Qu’en est-il des voies, des chemins, des sentiers ?” demande Annette à la suite de la méditation thématique d’hier soir sur l’ennui et sa porte ouverte à l’expérience immédiate de notre nature profonde, tellement proche, intime, qu’elle ne peut être vue comme l’oeil ne peut se voir lui-même – on va dire ainsi même si les mots sont toujours un peu casse-gueule surtout en ce domaine de l’esprit, il est néanmoins nécessaire de les l’utiliser pour pointer vers l’insaisissable, ce qui n’a pas de caractéristiques – et comme chacun se plait à le citer en exemple, ne regardez pas le doigt mais la belle super lune rose apparue dans le ciel mais déjà passée c’était hier soir que le doigt indique – enfin n’importe quelle lune en général. Alors y-a-t-il un chemin, une voie, un sentier? toutes les traditions nous parlent de la nécessité de suivre un parcours. Mais de quoi est-ce le parcours? Tout dépend du point de vue : du point de vue de l’existence relative qui nous a fait naître et qui aura une fin dans cette forme de chair et de sang conditionnée par l’impermanence alors oui il y a un chemin. Le point de départ est la souffrance, le mal-être, et sa compréhension pour en sortir établit des étapes. Comme le sentier de samatha décrit comment on commence à pratiquer, les étapes pour amener à la paix de l’esprit, l’énergie à déployer, les errances possibles. C’est le point de vue de l’agitation, de la confusion. Comment commencer, de là où nous sommes, pour ne pas reprendre les mêmes chemins des habitudes de souffrance, de confusion, de mal-être, inhérents au fonctionnement erroné de l’esprit? Du point de vue ultime, c’est-à-dire de la nature que nous sommes, espace-clarté-infinitude, tout est déjà parfait, accompli, éveillé, rien à ajouter, rien à retrancher, rien à faire. Pas de chemin, de voie, de sentier. Le chemin que nous traçons réel du point de vue de notre existence et conditions est en fait un chemin dans le ciel dont le but est de nous faire voir le ciel tout de suite, à chaque fois. Sauf que nous repartons dans nos travers, notre aveuglement, nos filtres, alors le rappel qu’il est possible de tracer d’autres sentiers est la bonne nouvelle qu’il est possible améliorer notre vie en changeant nos fonctionnements et en rectifiant nos erreurs cognitives. Nous ne percevons pas la réalité telle qu’elle mais à travers des croyances erronées. Si c’est le point de vue confus qui s’empare de la vérité ultime, alors le risque évidemment c’est qu’il n’y ait aucune expérience de notre vraie nature, juste un idéal qui mènera à des dérives. Et ces dérives il faut les prendre au sérieux. Tout est question de point de vue et d’expérience au-delà de la saisie duelle, car ces deux aspects sont là en même temps, coémergent, le relatif et l’ultime du même esprit sont là au même moment, au même instant. Il n’y a pas deux esprits, l’un confus, l’autre éveillé. Ou un chemin séparé de la vie même que nous vivons, par lequel on pourrait s’enfuir de notre existence. Chacun est donc renvoyer à sa propre conscience pour savoir où il en est. Des pièges il y en a partout. Si on part seul en montagne sans guide, sans carte, et que l’on est inexpérimenté, il se peut que cela nous coûte la vie. Ce qui n’enlève rien à la beauté de la montagne qui ne nous a rien demandé. On peut l’escalader ou pas, en elle-même elle ne nous attend pas, ne nous demande rien. Ainsi la vraie nature de ce qui est est fondamentalement paisible et ne demande pas à ce qu’on y trace des sentiers, des chemins, cela est égal, ne l’affecte pas. De la même façon, chaque tradition propose selon son point de vue une approche, des méthodes, des pratiques qui sont les vrais sentiers et chemins que nous emportons sur le terrain de notre propre vie, si cela nous parle. En quelque sorte un chemin on en a déjà un, celui de notre existence. Le chemin évoqué pour trouver la route de l’esprit montre aussi son illusion, une fois parcouru, il se dissout derrière nous. Comme des pas sur l’eau ne laissent pas de trace. Il y a ces paradoxes qui sont le coeur de l’esprit de la voie du milieu – ne pencher ni d’un côté ni de l’autre des extrêmes. L’esprit en tant que mon système de croyances aime avoir raison et se sentir sécurisé. Emprunter un chemin à plusieurs est sécurisant, mais une déviation est toujours possible, surtout en nombre. Ne pas en suivre est être comme le fou qui s’improvise maître de la montagne, parce que son hallucination l’en persuade. Ceci dit, pourquoi pas me direz-vous? Tout-à-fait chacun est libre et est invité à déployer ce qu’il est selon sa propre subjectivité. Aucune voie n’a la prétention d’assurer le monde intérieur. Ce n’est pas parce que je me dis ceci ou cela que j’en intègre l’expérience. A moi de m’interroger sur où j’en suis. personne ne peut le savoir à ma place. Cela revient à se demander : peut-on s’éveiller sans maître, sans suivre de voie? la vraie nature de ce que nous sommes est là, elle ne dépend pas des voies qui la montrent. C’est possible mais certainement très difficile. Ensuite pouvoir exprimer son expérience ou la transmettre à d’autres supposent aussi des concepts communs, une cohérence d’expression. Mais là encore, rien d’obligatoire, de nécessaire, d’absolu. Le plus raisonnable est de considérer ce dont nous avons besoin au stade où nous sommes et selon notre propre motivation qui elle aussi évolue. Aucune forme n’échappe à l’impermanence. Ne pas s’attacher à la voie, au chemin mais avancer simplement alors que le chemin s’efface après chacun de nos pas. Donc même s’il semble qu’il y ait un chemin il ne conduit nulle part, son but est de nous faire bouger, nous emmener pour nous révéler ensuite qu’en fait tout était déjà là. Mais si nous n’avions pas bouger nous ne pourrions le comprendre avec toute la profondeur requise. Au début la montagne est une montagne puis la montagne n’est plus la montagne et à la fin la montagne redevient la montagne. Comme l’exprime ce proverbe zen, lorsque nous commençons la pratique notre vision a la certitude de l’ignorance, puis le chemin de la pratique déconstruit ces certitudes, puis la montagne est à nouveau la montagne mais nos perceptions sont complètement différentes, ont changé. La métaphore du chemin est celle d’un cercle parcouru qui nous ramène au point de départ, rien n’a changé, tout a changé. L’illusion du chemin a donc son utilité. Le chemin pour aller au-delà de la souffrance commence par arrêter de dire non à la souffrance, de la refuser. Cela a lieu tout de suite, dans notre corps, notre coeur, face aux événements de notre vie. Il n’y a pas un chemin extérieur qui mènerait ailleurs où la souffrance n’existerait pas. Mais faire face ainsi à nos fonctionnements, nos émotions, changer sa vision, cela peut prendre du temps, et en prend. L’opportunité de s’en défaire à l’instant reste néanmoins l’essence de la pratique. On va encore lutter, se battre, piétiner, repartir dans ses mauvaises habitudes. C’est chercher le ciel dans une direction, devant soi alors que nous sommes déjà dedans, dans ce que nous cherchons. C’est une question de regard. Si nous retournons notre conscience vers cela, alors cela est. C’est simple. Puis les nuages, les doutes, les affaires du monde nous reprennent la tête et nous empêchent d’aller plus loin. On peut ainsi avoir l’impression de sans cesse repartir de zéro. Heureusement, nous pouvons nous entraîner à nouveau. Merci les situations, les émotions, les effondrements toujours là. Comme les guides et les cartes de voyage se renouvellent régulièrement, il est bon de réactualiser les gps sans nous étonner qu’ils nous disent, même si les panneaux ont changé, vous êtes déjà arrivés!
Qu’en est-il des voies, des chemins, des sentiers…
Dernière mise à jour : 9 oct. 2022
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