Ce dont je m’aperçois de plus en plus c’est qu’à force d’employer toujours les mêmes mots pour décrire certaines expériences, cela finit par nous éloigner de la véritable reconnaissance de ce qui se passe. Or il ne s’agit pas de faire face à des mots qui décrivent des expériences mais de reconnaître dans les mots qui viennent toujours après des expériences que nous faisons déjà sans les mots, ça va vous suivez?
Dans notre expérience ordinaire il nous arrive de nous sentir bien ou de nous sentir mal et parfois nous nous sentons n’être rien, totalement vide et déconnecté. Cet état d’être pourrait vite devenir fascinant et vorace. Nous ne sommes rien, tout est vide, ce vide est avide de se nourrir de sa propre expansion, de tourner en rond dans sa cage ouverte et de nous transformer en zombie avide de rien. Avide de rien, avide de tout mais l’air de rien. Mine de rien on voudrait tout – tout ce qu’on n’a pas eu sauf qu’on ne l’a pas eu et que dans le vide tout cela reste très clairement indécis – porte ouverte à toutes les nouvelles addictions – l’addiction au vide existe-telle? est-elle la première addiction? ce sera le koan du dimanche –
Ce vacuum – ce rien se projette dès qu’il y a un espace – que ce soit entre deux personnes ou plus où les connexions ne se sont pas encore établies, ou ne peuvent ou ne veulent plus s’établir – entre deux moments d’activité – entre deux situations – il y a un espace à prendre qui s’emplit de vide. Mort des connexions fin du film tu peux te lever pour sortir c’est fini mais vous vous attendez encore dans le noir le générique or il n’y en n’a pas non plus. Niet, nada, fin de toute stimulation, tu peux débrancher.
Vous l’aurez deviné c’est un vide qui peut vite se teinter de différentes couleurs émotionnelles tout en restant tristement inerte. Un genre de coma existentiel survenu avant l’heure dont il est possible de sortir à condition de rallumer la salle mais y-a-t-il quelqu’un pour le faire? c’est dans ce genre de situation que l’ego montre son bon sens. Cela peut sembler étrange et ça l’est effectivement. Il arrive que nous ressentions l’insipidité de la vacuité, l’abîme d’un entre-deux où s’abîmer. Il n’y a même plus d’écho pour vous sommer de vous rendre. Oui tu as raison ça ressemble un peu à la fin du monde, toute proportion gardée car le vide a tendance à tout amplifier.
Pourquoi parler de cela? parce qu’il me semble que nous avons souvent affaire à cette expérience d’étrange vacuité qui nous rend fantomatique, apathique, et en même temps donne la sensation d’être absorbé par un vide plus grand encore si on s’y laisse aspirer. Bien sûr les mots fourre-tout habituels pourraient être utilisés : indifférence, angoisse, dépression, énergie bouddha névrosée, trou noir et autres sacs à penser et cordelettes où se pendre sans que rien ne s’évide de l’ignorance habituelle.
Laissons le champ ouvert. Essayons de reconnaître la complexité du moment. Relions-nous à l’intensité d’un nouveau regard sur nous-même et ce que nous vivons. Suspendons les formules spirituelles éculées qui ne sont plus vraiment vérifiables. Ouvrons nous à de nouveaux champs émotionnels et linguistiques. Revenons au rien avide de prouver son inexistence qui elle existe bel et bien. Il y a dans le corps, le cœur, la tête, des ressentis de ce genre de vide. Est-ce un grand creux affamé? Un puits noir et profond? Une page déchirée ou pire une grande salle blanche sans contours bref quelle est l’image de votre ressenti de cette avidité du vide vous saisissant au détour d’une pensée?
Parfois il tente de se faire oublier dans les formes.
Dans cet entre-deux, la porte est ouverte pour l’entrée de la mort. Bien sûr vous pouvez avoir l’impression de ne pas penser à la mort, de ne pas en avoir peur, de ne pas la craindre, en tous cas pas précisément en ce moment où rien ne vous menace. C’est là qu’elle aime s’installer, dans les canapés moelleux, dans le lit des amoureux, dans les flottements relationnels, dans les déboires professionnels, tu n’es rien, tu n’as rien, tu n’es qu’en tant que tu es absorbé par ce vide qui te tend les bras. Cette peur là nous fait refuser toutes nos petites morts qui du point de vue de l’ego sont toujours de grandes souffrances : tu ne seras pas ce que tu avais imaginé dans tes plus folles ascensions, le vide te rattrape, tu crains de ne pas tout vivre car autour de toi tu vois s’élever des tertres funéraires, des personnes dans les affres de la maladie et de la fin de toute histoire, et alors tu te sens vide de ce rien que tu as du mal à accepter mais qui lui t’accepte totalement.
Tu as peur sans le savoir, tu veux vivre l’étincelle avant de t’éteindre comme la bougie et son regain d’éclat avant extinction totale. Tu penses que quelqu’un est responsable que tu ne sois rien, que tu as fait les mauvais choix, que tu t’es trompé alors que d’autres auraient su faire, ont su faire. Tu es alors très com-paraison, con-tradictions, con-sommation en manque de con-sidération, de con-solation, de con-versation.
Alors que faire? rien que tu ne fasses déjà – tu es déjà ce que tu veux devenir, simplement un être de chair et de sang et d’ossements et de rêve – accepte-le. Vois le jeu – vois le je qui joue dans la trame du grand jeu. Laisse l’avidité du vide relâcher d’elle-même son étreinte – oui tu as été le jouet de quelques mémoires qui ne t’appartenaient pas et alors? dialogue avec le vide et guéris toi des manques –
Rappelle-toi que tu es le grand amour de la vie –
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