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Le ouistiti

Suite au podcast sur le désir de vouloir tout contrôler, voici le conte le ouistiti des frères Grimm suivi de sa résonance :



Il était une fois une princesse qui possédait, tout en haut du donjon, juste sous les créneaux, une grande salle avec douze fenêtres qui donnaient sur tous les secteurs du ciel; et lorsqu’elle y montait et regardait par ces fenêtres, la princesse pouvait surveiller et embrasser du regard tout son royaume. Par la première fenêtre, sa vue était déjà plus pénétrante que celle de tous les autres humains, mais elle y voyait mieux encore par la deuxième, et encore mieux par la troisième, et ainsi de suite de mieux en mieux jusqu’à la douzième fenêtre, d’où elle voyait tout ce qui se trouvait sur la terre et sous la terre sans que rien pût lui échapper ou lui rester caché.


Mais cette princesse était si orgueilleuse qu’elle ne voulait personne au‑dessus d’elle et qu’elle tenait à régner seule. Aussi avait‑elle fait publier qu’elle ne serait épousée que par celui qui saurait se cacher d’elle sans qu’elle pût le découvrir ; mais celui qui tenterait l’épreuve, si elle le trouvait, serait décapité et aurait sa tête fichée sur un pieu devant la porte du palais. Or, devant le palais, on pouvait voir déjà quatre‑vingt‑ dix‑sept têtes exposées sur autant de pieux, et bien du temps passa sans que personne vînt encore se risquer. La princesse s’en félicitait et s’en réjouissait. “Désormais, je resterai libre toute ma vie !” pensait‑elle.


Mais voici que trois frères arrivèrent devant elle, se présentèrent comme prétendants et lui dirent qu’ils désiraient tenter leur chance. Le premier fut l’ainé, qui se croyait sûr en allant se cacher dans une fosse à chaux ; mais la princesse le découvrit dès la première fenêtre, le fit sortir de là et lui fit trancher la tête. Le second alla se cacher dans la cave même du château, mais elle le découvrit tout aussi aisément que l’autre, sans avoir à aller plus loin que la première fenêtre, et c’en fut terminé pour lui : sa tête coupée occupa le quatre‑vingt‑dix‑neuvième pieu.


Vint le tour du plus jeune qui s’avança devant elle.


Il lui demanda, comme une faveur, une journée de sursis, afin de pouvoir mieux réfléchir et encore, qu’elle lui fît cadeau de deux fois, si elle le trouvait ; mais à la troisième fois, s’il n’avait pas réussi, il n’aurait plus aucune raison de tenir à la vie.


Il était si beau, et il lui avait fait sa demande avec tant de cœur qu’elle lui dit : “Je te l’accorde bien volontiers, mais tu ne réussiras pas.”


Le lendemain, après avoir longtemps réfléchi en vain pour trouver où se cacher, il empoigna sa carabine et partit à la chasse.


Il vit d’abord un corbeau et le mit en joue, le doigt sur la gâchette.


— Ne tire pas ! lui cria le corbeau, je te le revaudrai !


Le jeune homme abaissa son arme et s’en alla plus loin. Il arriva sur le bord d’un lac au moment où surgissait, à la surface, un gros poisson venu des eaux profondes. “Ne tire pas, je te le revaudrai !” cria le poisson que le jeune homme allait tirer. Il le laissa s’en retourner au fond du lac et poursuivit sa promenade, qui lui fit rencontrer un renard boiteux. Il le tira de loin et le manqua. “Tu ferais mieux de venir me tirer cette épine du pied !” lui cria alors le renard. Il le fit, certes, mais après il voulait le tuer et ramener sa peau. “Laisse donc ! lui dit le renard, je te le revaudrai !” Il le laissa filer, et comme le soir tombait, il s’en revint lui‑même chez lui.


La nuit passa et vint le jour de son épreuve : il devait se cacher ; mais il avait eu beau se casser la tête, il ne savait toujours pas où, ni comment le faire. Il se rappela le corbeau et décida d’aller le trouver dans la forêt. Et il lui parla ainsi : “Je t’ai laissé la vie ! Maintenant c’est à toi de me dire où je dois me cacher pour que la princesse ne puisse pas me découvrir.” Le corbeau inclina la tête et réfléchit longuement ; puis il croassa pour finir : “J’ai trouvé !”


Il prit un œuf dans son nid, l’ouvrit en deux, y fit entrer le jeune homme, le referma sans laisser de trace visible, puis le remit dans son nid avec les autres œufs, sur lesquels il se posa lui‑même et resta à couver.


À la première fenêtre, la princesse ne parvint pas à le découvrir, ni à la seconde, ni aux suivantes, et elle commençait vraiment à être inquiète ; mais quand elle fut devant la onzième fenêtre, elle le vit. Elle fit abattre le corbeau, ramener l’œuf qui fut ouvert, et le jeune homme dut sortir.


— La première fois, je t’en ai fait grâce, lui dit‑elle, mais si tu ne fais pas mieux, tu es perdu.


Le lendemain, pour la seconde épreuve, il s’en fut trouver le gros poisson sur le bord du lac, l’appela et lui dit : “Je t ’ai laissé la vie, alors dis‑moi où je puis me cacher de façon que la princesse ne me trouve pas.” Après avoir longtemps réfléchi, le poisson finit par crier : “ Je sais !” Il avala le jeune homme et redescendit au fond, tout au fond du lac en l’emportant dans son ventre. La princesse alla devant ses fenêtres et ne le vit point ; elle passa avec une inquiétude croissante de l’une à l’autre et commença à s’affoler en ne le voyant pas non plus dans la onzième. Mais à la fin, tout à la fin, dans la douzième, elle le découvrit. Elle fit prendre et tuer le poisson, et le jeune homme réapparut au jour. Dans quel état moral il se trouvait, on peut facilement se l’ imaginer !


— Pour la seconde fois, je te fais grâce, lui dit la princesse, mais ta tête s’en ira finir sur le centième pieu.


Le dernier jour, avec le cœur qui lui pesait, il s’en alla dans la campagne et rencontra le renard. “Toi qui connais toutes les ruses, lui dit‑il, je t’ai laissé la vie, alors dis‑moi où je pourrais me cacher pour que la princesse soit incapable de me découvrir.” Le renard fronça les sourcils, prit un air soucieux et avoua : “Pas commode, cette affaire !”


Pourtant, après mûre et profonde réflexion, il s’exclama : “Ça y est ! J’y suis !”


Il l’emmena jusqu’à une source, où il commença par se plonger lui‑même, pour en ressortir sous l’aspect d’un montreur d’ animaux ; puis il fit s’y plonger le jeune homme à son tour, qui se trouva changé en un petit ouistiti. Le forain gagna la ville et y montra son étrange et charmante petite bête, attirant autour d’elle toute une foule d’admirateurs. La princesse elle‑ même y vint en dernier lieu, s’en amusa et y trouva tant de plaisir, qu’elle l’ acheta et donna pour l’avoir beaucoup d’argent au montreur, qui glissa dans l’oreille du petit singe, avant de le laisser partir avec elle : “Quand la princesse montera pour aller regarder par ses fenêtres, cache‑toi vite sous son chignon.”


Le moment venu, la princesse s’en alla devant ses fenêtres pour le chercher ; elle ne commença guère à s’inquiéter qu’ après l’avoir cherché sans le voir en regardant par la onzième fenêtre ; mais lorsqu’elle eut regardé dans la douzième sans le voir ni le trouver nulle part, la crainte et la fureur explosèrent en elle avec violence ; elle la claqua avec une telle rage qu’elle fit sauter en mille éclats les vitres de toutes les autres fenêtres et que le château lui‑même en trembla jusque dans ses fondations. Comme elle s’en retournait, elle sentit soudain le ouistiti dans son chignon, le tira de là et le jeta par terre en criant : “Va t’en et que je ne te revoie plus ! Allez, ouste ! Hors d’ici !”


Le ouistiti courut retrouver son montreur et tous deux se hâtèrent vers la source, qui leur rendit leur véritable forme dès qu’ils s’y furent plongés. Le jeune homme remercia alors le renard, puis il se rendit tout droit au château où la princesse l’attendait, prête à subir son destin. Les noces furent célébrées, et il fut désormais le roi et le seigneur, le maître et le souverain du royaume tout entier. Il ne lui révéla pas où il s’était caché ni qui l’avait aidé cette troisième et dernière fois.


Aussi la princesse crut‑elle qu’il avait tout tiré de sa propre science et de la force de son art. “Il est plus fort que moi”, pensait‑ elle, et elle avait pour lui autant de respect que de haute considération.




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