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Coureurs de fond


Diseuse d'Orphée, je vous partage mon amour de la poésie avec Coureurs de fond, extrait de Fleurs musculaires disponible aux éditions Kaligraf.


Quelque chose coulait à l’horizon du plafond – le bâtard bagnard de sang traînait ses avatars sur le ponton de la nuit noire – chaînes bruyantes de fantômes secoués et déchaînés – le bois flotté des cheveux de la femme squelette étoilait la pièce – alors au clair de lune se révélait la vie parallèle des ombres –

un château de nuages élevait son tatouage approximativement découpé au bossu de la lune – un chien rêvait au loup qu’il avait été en des temps bien plus lointains – la grenouille dévidait ses plongeoirs de koans dans la mare d’argent – la tête de pierrot se prenait pour l’iceberg du titanic chutant irrémédiablement d’un coup d’un seul dans les fentes glacées de la mer opaque – tout était et tout serait toujours possible au clair de la lune –

prête-moi les runes de ta plume que ma chandelle accorde ses violons d’Alcatraz au mors des douleurs –

des entre mondes ouvrent leurs portes où glisser un œil – où la conscience libre peut se lover en toute équité – nous pouvons alors marcher avec des foules de spectres heureux de ne plus être seuls à broyer du noir – dans l’obscurité les yeux s’habituent à voir les pixels des manèges d’azur – ainsi un jour je marchais avec Jean-Baptiste le bâtard bagnard de sang qui traînait ses avatars sur le ponton de la nuit noire – ses yeux étaient deux sequins étincelants plus on les regardait plus ils s’agrandissaient et devenaient cristaux de pure lumière – cela contrastait avec son habit sale ses loques tachetées qui lui donnaient un côté d’animal soumis – ses yeux des billes blanc bleu laser perçaient de leur intensité le rideau flouté de la nuit – il avait des chaînes aux chevilles qui semblaient lourdes et faisaient un boucan d’enfer – c’est comment quand on les enlève? – sans parler il me disait des choses de conscience vide à conscience vide –

Ecoute enfant au ténu du silence tendu en tente de sioux le calumet des cœurs qui fument en riant – il me disait que ses chaînes ne le gênaient plus – et pour cause répliquai-je tu es mort – il semblait d’accord – je crus bon de rajouter tu es libre maintenant – il s’assombrit sans que l’éclat de ses yeux ne diminue un seul instant si l’instant peut avoir un sens dans ce genre de situation où les morts se prêtent au jeu des vivants – je n’ai jamais été libre dit-il puis il ajouta mais tout ce qui m’a enchaîné ce n’est pas ce que tu crois – nous n’étions plus en train de marcher nous étions passé au petit trot comme dans une cour de prison ou dans un cirque où les chevaux longent les balustrades circulaires avec la prestance docile des résistants –

c’est comme une méditation Jean-Baptiste une méditation de prisonnier il n’y a pas de prisonnier et il n’y a pas de prison – tu as raison dit-il mais parfois j’ai quand même un peu faim et je voudrais manger la lune – la lune? mais tu l’as dans les yeux – cela sortit d’un jet de la vasque de ma bouche imaginaire – est-ce que ça voulait dire quelque chose? il sourit et ses lèvres se joignirent en une cicatrice de violente tristesse – je baissais la tête – il est évident que tout ne pouvait se comprendre –

pourtant l’énergie était belle et bien là – on est comme des chevaux Jean-Baptiste des coureurs de fond de la nuit j’aime bien courir avec toi dans les ombres épuisées de clarté – on est comme des chevaux qui n’existent pas dans un cirque qui n’existe pas c’est pas drôle ça Jean-Baptiste ?- je me retournais vers lui mais il avait disparu – je me sentais alors courir courir courir encore courir dans la nuit à fond – courir avec l’énergie nouvelle d’un loup qui retrouve ses instincts – en courant je voyais d’autres coureurs un peu plus loin en nous croisant nous nous reconnaissions – nous étions les coureurs de fond de la nuit noire –





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